Luthiers de Suisse romande
- Quarante-neuf portraits | photographies de l'auteur
C’était un jour apparemment comme les autres. Après un article consacré à une exposition sur les luthiers fribourgeois au Musée du Pays et Val de Charmey, Jacques-Michel Pittier, rédacteur en chef de la Revue musicale de Suisse romande, lançait l’idée d’étendre la recherche à toute la Suisse romande.
Intrigué par ce monde que je côtoyais par violon interposé sans vraiment le connaître, je la saisis immédiatement au vol. Sans vraiment savoir ce qui m’attend. «Clic» sur le CD-Rom des Telecom, profession: luthier… Une trentaine de noms s’affichent. L’aventure commence. C’est Lausanne, dans le froid sibérien d’un 7 janvier 1998: François Daiz, Pierre Mastrangelo, John-Eric Trælnes… et les premiers «vous connaissez…?». La liste s’allonge. Lentement, mais régulièrement. Les «anonymes» de l’annuaire commencent à remplir mon carnet d’adresses, et à gonfler un projet de plus en plus colossal. Parallèlement à l’éloignement progressif de l’échéance finale – qui devait initialement prendre la forme d’un numéro à peine grossi de la Revue –, l’intérêt du pèlerinage s’accentue, à travers les rencontres successives. Rencontres très diverses, qui s’appellent et se répondent. Rencontres intrigantes. D’hommes, d’abord, mais aussi d’un artisanat prenant souvent la forme d’une passion dévorante.
Pour briser la glace des premières minutes d’un contact pas forcément facile, je commence par questionner le luthier sur sa vocation… mais ne fais pas systématiquement mouche. Certains préfèrent laisser parler leurs outils et leurs instruments, pour ensuite seulement libérer leur personnalité, à travers un subtil (et souvent inconscient) jeu de miroir avec la matière. D’autres, au contraire, prennent plaisir à filer les péripéties de leur trajectoire, rebondissant gaiement d’une anecdote à l’autre, et évitant intelligemment les (impossibles) explications. Car la lutherie est matière vivante – matière d’expérience, de remise en question. Elle est volatile, elle fuit les dogmes comme les animaux sauvages fuient la cage du chasseur. C’est du moins l’image qu’en donne une bonne partie des luthiers rencontrés.
Panorama large, mais forcément anecdotique, ce guide vous parle de la vie de ces hommes et de ces femmes – quarante-neuf au total –, de leurs préoccupations quotidiennes, autant que de tout ce qui peut surgir dans la bouche d’une personne à un moment précis de son existence – en l’occurrence notre rencontre. Sans filtre, sans systématique. Quelques luthiers – que vous connaissez peut-être? – manquent à l’appel. C’est qu’ils n’ont pas désiré figurer dans ces pages (j’ai essuyé six refus pour raisons personnelles); ou alors que leur existence ne m’a pas été signalée durant ces deux années de reportage – chapeau bas s’ils existent: ils se sont bien cachés!
Pour ne pas risquer la noyade dans une mer sans fond, il fallait aussi fixer des limites: elles se sont imposées d’elles-mêmes. D’abord posséder son propre atelier – que les nombreux apprentis et employés qui les peuplent et les font vivre soient ici salués! Ensuite, construire ou restaurer des instruments à caisse de résonance (accessoires compris) de manière entièrement artisanale – avec une seule exception: la flûte à bec, dont la facture est couramment appelée «lutherie». Enfin, travailler sur territoire romand, dans les zones bilingues, ou à défaut réaliser une part substantielle de son chiffre d’affaire en la Suisse romande. Critères contestables… mais nécessaires. Tout en gardant bien présent à l’esprit l’aspect ponctuel – fugitif – de l’entreprise. Ce guide est un Polaroïd! Avant même d’être écrit, il est déjà enraciné dans l’Histoire. Mais je vous invite à le déguster comme des morceaux d’existence bien vivants!
- 1999
- © Revue musicale de Suisse romande – www.rmsr.ch